Mis en exergue par la pandémie, les soucis psychiques sont scrutés attentivement par les ressources humaines. D’une part, car ils coûtent 10 milliards par an aux entreprises, et d’autre part, car conserver ses talents implique de détecter le plus tôt possible toute forme d’épuisement. Les conseils de Bettina Beer, instructrice pour des cours de « premiers secours en santé mentale », à la Fondation Pro Mente Sana.
1— Rester attentif à ses équipes
Un conflit ouvert, ou une baisse de performance, amènent à s’interroger sur la santé mentale d’un collègue. D’autres signaux, plus faibles, peuvent laisser entrapercevoir des fragilités : une personne qui ne participe plus aux pauses café ou aux sorties d’équipe, plus fréquemment malade, moins impliquée, etc. Tout responsable doit savoir lire ces indices.
2— Poser des questions ouvertes
En cas de perte de motivation, ou de manque d’implication, des questions simples permettent d’engager les échanges : « J’ai remarqué que tu participes moins aux repas d’équipe. Es-tu en surcharge ? », « Comment te sens-tu dans ton poste en ce moment ? ». Si la personne louvoie, on peut poursuivre : « Qu’en penses-tu ? », plutôt que de fermer l’interaction par un jugement du type « Cela ne va pas. » ou « Il faut te reprendre. »
3— Repérer des signes d’addiction
L’addiction à l’alcool, ou toute autre substance, peut rester longtemps invisible. Elle se détecte par des formes de négligence : une personne très propre et soignée qui petit à petit oublie de se couper les cheveux, de veiller à sa tenue, voire de se laver ! Se retrouver légèrement éméché au souper de fin d’année est une chose, mais boire sans modération lors d’apéritifs hebdomadaires et/ou insister pour continuer la soirée mérite peut-être d’être interrogé.
4— Utiliser des outils de détection
L’IA permet aujourd’hui de détecter bien à l’avance certaines affections. Des tremblements infinitésimaux dans la voix peuvent constituer des symptômes d’une maladie de Parkinson. Il en irait de même pour la dépression. Utiliser ces outils en entreprise doit toujours rester transparent, avec un suivi du stockage des données, etc. Le corps médical reste le seul à pouvoir élaborer un diagnostic. En résumé, une méthode de prévention, pourquoi pas. Un moyen de surveillance, non.
5— Mesurer la fréquence de télétravail
Travailler à distance limite les possibilités de s’assurer du moral de ses équipes. Raison de plus pour multiplier les moments d’écoute et d’échange. La part des tâches effectuées à distance doit aussi faire l’objet d’un compromis raisonnable. S’agit-il de l’exception ou de la règle ? Enfin, garder à l’esprit que le choix d’augmenter petit à petit le télétravail peut être un signe de démotivation ou retrait, de manque d’énergie pour effectuer les trajets, de sensibilité exacerbée au bruit ou aux contacts sociaux. Autant d’avertissements à prendre au sérieux.
6— Repérer les symptômes
La dépression représente le souci de santé mentale le plus fréquent en Suisse et peut toucher n’importe qui. Sa manifestation typique au travail reste le burn-out, une forme d’épuisement profond. De nombreux symptômes y sont associés : mal au ventre, au dos, à la tête, souvent sans qu’un médecin puisse détecter une souffrance physiologique. Ces manifestations peuvent varier selon le genre (voir encadré). 17% de la population suisse serait déjà passée par là selon un sondage SSR de 2023.
Attention aussi aux paroles de dévalorisation répétées, comme « Je ne vaux rien, je suis nul, je ne sers à rien, à quoi bon, je n’arrive à rien, je ne suis pas qualifié pour ce poste, etc. » : elles peuvent alerter sur un mal-être installé. La meilleure des préventions reste un rapport de confiance solide avec un supérieur, entretenu au fil du temps, qui permet d’aborder le sujet ouvertement.
Des biais de genre dans la détection des problèmes
L’épuisement professionnel est parfois lu différemment selon le genre. « Les hommes sont ‘victimes de burn-out’, les femmes ‘font une dépression’ », résume Bettina Beer. Pourquoi cette autre lecture ? « On associe le burn-out à un investissement exemplaire pour son travail, avec le risque d’en faire trop. Il est presque de bon ton de dire qu’on a frôlé un surmenage ! Tandis que la dépression reste assimilée à la faiblesse, au manque de volonté, à la paresse, et aux femmes. », remarque l’instructrice.
Les femmes seraient aussi plus sujettes aux troubles psychiques. L’enquête suisse sur la santé 2022 (OFS) révèle qu’elles sont significativement plus nombreuses à se déclarer ‘nerveuses’ ou déprimées que les hommes.

Elles seraient 18,7% à avoir connu un burn-out contre 14,8% pour les hommes (source : sondage SSR, 2023).
Bettina Beer esquisse deux explications à cela. « Elles consultent plus vite pour toute forme de souci médical, et parce qu’on associe davantage les soucis de santé mentale aux femmes, les hommes sont plus fréquemment en sous-diagnostic ou sans traitement. La population de cadres reste masculine, et moins sensibilisée au sujet, et lorsque les dirigeants le sont, ils seront plus attentifs aux signes chez les collaboratrices que chez leurs collaborateurs. »
7— Les responsables aussi sont à risque !
Les chefs n’échappent pas au burn-out. Statistiquement, on estime que gérer directement des équipes de plus de huit personnes est difficile, d’un point de vue humain. Enfin, plus on a de responsabilités, plus on est haut placé dans une hiérarchie, plus on se sent indispensable et irremplaçable, plus on est à risque d’épuisement ! Ici aussi, accompagner ces situations implique de poser des questions ouvertes. Selon la réponse, il faut oser dire : “J’ai remarqué que quelque chose n’allait pas”, en restant basé sur des faits. Signifier à une personne qu’on se fait du souci pour elle est important, car cela signifie que ce qui lui arrive ne nous est pas égal.
Les ressources
Une fois un problème identifié, comment agir ?
— Prévenir : offrir des formations internes de réduction du stress, de gestion d’équipe et de management, de sports et de loisirs, reconnues comme étant des facteurs de prévention, et construire des rapports de confiance toute l’année.
— Former ses équipes aux premiers secours en santé mentale. Par exemple, avec ENSA, formation lancée en 2019 en Suisse, permettant de repérer des symptômes de manière précoce. Deux jours suffisent à former un “secouriste” en santé mentale, et des demi-journées de sensibilisation existent pour les cadres et responsables.
— Développer une stratégie d’entreprise sur l’équilibre entre travail et vie privée. Porter une attention régulière à la santé des collaborateurs et disposer d’un suivi pour repérer des soucis rapidement. Les employeurs ont d’ailleurs une obligation légale de prendre soin de leurs salariés.
— Parler avec la personne concernée. Si elle ne collabore pas, se tourner vers des personnes-ressources (équipe RH, de médiation, personnel médical ou social), en l’informant de la démarche.
— Aménager le poste de travail. Dans certains cas, des horaires repensés, réduits, ou une journée de télétravail peuvent suffire à prévenir une situation de surcharge.
— Laisser le choix du soin à la personne concernée. Cependant, si après plusieurs tentatives de solution, elle est toujours souffrante et que son travail s’en ressent, des mesures classiques de fin de contrat s’appliquent.
Sources :
https://www.obsan.admin.ch/sites/default/files/2023-05/Obsan_BULLETIN_2023_01_f.pdf
https://www.rts.ch/info/suisse/14400248-en-suisse-une-personne-sur-six-dit-avoir-deja-souffert-dun-burnout.html (pour illustrer, on pourrait reproduire le dernier graphique de cet article qui explique que le taux d’activité n’a pas d’influence sur l’épuisement).
Intervenants dans l’article

Bettina Beer
Instructrice pour des cours de « premiers secours en santé mentale », à la Fondation Pro Mente Sana
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