De toutes les technologies digitales, l’intelligence artificielle est celle qui bouleverse au maximum l’industrie liée aux places de marchés. Quels métiers apparaissent, quelles compétences seront nécessaires demain ? Analyse.

L’essor fulgurant des cryptomonnaies, facilité en Suisse par un cadre légal adapté et souple n’est qu’une des révolutions qui traverse l’industrie de la finance. Si le secteur de la crypto repose d’abord sur l’utilisation de la blockchain, son accès au grand public et ses interfaces toujours plus adaptées doivent beaucoup à un autre outil : l’intelligence artificielle, IA. De ChatGPT à Lensa, les progrès très médiatisés dans ce domaine témoignent d’une nouvelle phase dans son développement : l’IA est désormais démocratisée, tout un chacun peut l’utiliser pour la production de contenus écrits et visuels, et ainsi contribuer à l’améliorer. Le développement du « low code » et d’IA grand public rendent cette technologie accessible pour plusieurs branches. Comme pour la blockchain, il y a une décennie, l’IA va dorénavant être testée, développée, adaptée dans une série de secteurs.


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L’IA, déjà au cœur de la finance

Dans la finance, l’IA n’est pas une découverte. Cet outil est déjà utilisé pour une série d’outils : robots-advisors qui peuvent construire des portefeuilles, sélectionner des titres, surveiller le marché, proposer des recommandations. Chatbots, pour échanger avec les clients et répondre automatiquement aux questions les plus usuelles. Détection des fraudes. Pré-remplissage de données pour des formulaires légaux, comptables, juridiques. Etc.

Pourtant, des développements récents dans le domaine vont permettre très vite d’aller beaucoup plus loin. « Chez Swissquote, nous intégrons déjà l’IA dans une série de produits et de services. Mais la marge de progression dans l’utilisation de ces outils est encore importante. La rapidité et la puissance des IA actuelles vont faire évoluer nos métiers. Clairement, un algorithme aujourd’hui peut analyser des chiffres beaucoup plus vite qu’un humain. Nous allons encore gagner en vitesse et en fluidité, en personnalisation dans la communication tout comme dans l’élaboration des produits proposés », estime Jan De Schepper, responsable des ventes et du marketing chez Swissquote. Pour ce professionnel, l’IA est « à la fois un défi et une chance », comme toute nouvelle technologie. L’industrie, et ses acteurs, vont devoir l’adopter et se transformer en fonction. Comment ?

De nouveaux outils, une nouvelle culture

La digitalisation a transformé la manière dont les particuliers interagissent avec leur banque, souligne Stéphan Gard, administrateur indépendant et consultant en fusions et acquisitions. « Avant, ouvrir un compte de troisième pilier nécessitait une semaine d’échange de documents. Aujourd’hui, avec l’app d’un pure-player, l’opération est réglée en quatre minutes. Et à la cinquième minute, les données du compte dans un précédent établissement sont intégrées ! Rapidité, confort d’utilisation sont les clés du monde digital et beaucoup de sociétés traditionnelles n’ont pas encore intégré cette culture. »

Le digital a déjà transformé l’expérience client et l’IA va encore accélérer ce mouvement. Combinées à la simplicité d’utilisation offerte par le numérique, les capacités de l’IA vont ouvrir un champ nouveau de possibilités et potentiellement développer l’adoption des outils de finance en ligne (trading, achat de cryptomonnaies, investissement…). La finance de demain sera donc démocratisée et digitale. Cette culture entraînera effectivement une disparition non de l’humain, mais de certaines tâches (voir encadré témoignage ci-dessous) ou interactions humaines (achat de titres, informations générales…) notamment dans les relations avec les clients. Toutes les tâches répétitives (saisie, déclarations d’impôts, calculs provisionnels…) seront, à terme, automatisées. Des changements qui vont demander à l’industrie de se redéfinir.

« J’ai du temps pour d’autres tâches »

Témoignage, Anne-Lise Toniutti, 61 ans, spécialiste finances et comptabilité au Centre Patronal.

« Le programme de gestion des titres financiers que j’utilisais ne pouvait plus être développé. Nous avons externalisé ces tâches, ce qui a totalement modifié mes attributions. Auparavant, j’enregistrais des opérations financières qui étaient ensuite vérifiées au sein du département comptable.

Ces tâches ont été automatisées au moyen d’un nouvel outil de gestion des titres, plus performant qui offre aussi plus de possibilités pour mes collègues. J’ai désormais davantage une responsabilité de controlling. J’ai gagné du temps, ce qui me permet de me consacrer à d’autres tâches. Me former à de nouveaux outils numériques n’est pas compliqué : j’ai commencé comme apprentie à 16 ans à la Société de Banque Suisse et déjà à l’époque on utilisait un outil informatique ! »

Des défis internes et externes

Pour le secteur de la finance, l’arrivée de cette culture digitale demande son adoption en interne, par ses propres employés, ce qui n’est pas encore le cas partout. “Les résistances pour adopter ces technologies sont encore fortes dans le monde physique, à l’interne des entreprises. Un grand travail de change management doit être mené”, estime ainsi Stéphane Gard.

Autre enjeu, éviter le départ de la clientèle, face à l’éclosion de services naissants. “Les entreprises vont devoir revoir en profondeur la notion de fidélisation et de confiance. Développer par exemple l’appartenance à une marque. Ce qu’a réussi une entreprise dans un tout autre secteur : Nespresso”, décrit Stéphane Gard. Un travail profond de marketing et de communication s’annonce donc dans les années à venir.

Enfin, si l’IA se développe, il faudra encore trouver pour quels outils elle apporte une valeur ajoutée déterminante, où elle offre un gain de temps stratégique, quels produits et services demandent en priorité une personnalisation : l’autre chantier qui s’ouvre est donc celui du développement de nouveaux produits. Pour Stéphane Gard, l’enjeu dans ces innovations sera pour l’entreprise comme pour le salarié de conserver la compétence métier. “La tentative d’externalisé un développement digital est grande, mais dans pour que la création de ces nouveaux outils réponde aux besoins des clients, la connaissance métier est cruciale.”

Ces différents enjeux requièrent pour les entreprises une série de compétences entièrement neuves. “Ingénieurs, datas scientists, physiciens… Actuellement c’est déjà la course aux ressources. Cela ne fera que s’amplifier. Je ne crois pas que l’essor de l’IA va entraîner une diminution des métiers de la finance. Au contraire, ce que j’observe après 20 ans de métier, c’est combien notre monde devient de plus en plus spécialisé et complexe. Le développement législatif, combiné à celui des technologies demande des profils toujours plus pointus. Quant aux généralistes qui comprennent les logiques et tendances globales, capables d’élaborer des stratégies, leur rôle reste tout aussi nécessaire”, théorise Jan De Schepper. De nouveaux profils, spécialisés, feront cependant leur apparition et devraient jouer un rôle de premier ordre.

“Traducteurs”, “conseillers en IA”, “experts en algorithmes” : les nouveaux métiers

“Il faudra des profils capables de jouer le rôle de passerelles entre des experts techniques, un développeur en blockchain par exemple, et des experts métiers, par exemple un gestionnaire de portefeuille”, analyse Stéphane Gard. Ces profils de “traducteurs” capables de comprendre la logique, la culture, les méthodes et surtout les possibilités de deux univers différents, la finance et l’informatique par exemple représenteront des ressources “critiques”, estime Stéphane Gard. En cela, “le modèle suisse d’apprentissage qui permet une connaissance du terrain puis une évolution professionnelle peut offrir des pistes précieuses de futurs talents”, estime le dirigeant.

Autres professionnels qui pourront représenter des métiers à eux seuls : les experts en algorithmes. “Des personnes, dans l’entreprise, capables de comprendre les limites, le fonctionnement, les possibilités de différents algorithmes. À la fois pour en développer de nouveaux, mais surtout pour conseiller d’autres départements dans les choix de solutions à adopter, l’intérêt de développer un concept maison pour se différencier ou la possibilité de se reposer sur un produit existant. Des savoirs précieux pour permettre aux entreprises de réaliser les choix stratégiques qui vont arriver rapidement”, pointe Jan De Schepper. Outre ces nouveaux métiers, de nouvelles compétences seront nécessaires pour tous les salariés du secteur.

Les compétences à cultiver

“Les soft skills feront la différence plus que jamais !”, assure Jan De Schepper. Pour transmettre une nouvelle technologie et faciliter son adoption, les savoir-faire humains et communicationnels sont clé : “observer, comprendre, communiquer, partager, expérimenter… sera déterminant”, assure le dirigeant.

Autre savoir-faire indispensable : piloter et collaborer avec une intelligence artificielle. Puisque les tâches standards ou répétitives pourront être automatisées, les employées pourront prendre plus de hauteur. À eux de savoir paramétrer ces nouveaux outils et les utiliser de manière à faire une réelle différence dans leur travail. L’erreur serait de penser que les algorithmes ne sont pas créatifs parce qu’ils sont programmés à partir de données “passées”. Ces outils savent déjà réaliser des story-boards, des dessins, des œuvres d’art. Ils peuvent donc apporter une amélioration dans tous les domaines. “Toute réflexion en entreprise, à terme, gagnera à intégrer une IA dans son processus… et à avoir le recul nécessaire pour analyser l’intérêt de sa contribution”, conclut Jan De Schepper.

Enfin, comme face à toute révolution technologique, ce qui fera la différence, ce seront moins les compétences spécialisées que la manière de les renouveler. “C’est la capacité à se former, à se tenir à jour, à se questionner, à rester ouvert et flexible qui sera déterminante à l’avenir”, estime Jan De Schepper.

Dans un secteur où les formations traditionnelles n’intègrent pas encore ces aspects, le professionnel insiste sur l’autonomie dans le parcours de formation.

À l’époque, quelques ingénieurs s’intéressaient au sujet. Et des personnes qui étaient dans la compliance, le marketing ou products managers s’y sont plongés. Aujourd’hui, après dix ans dans le métier, ils sont devenus experts en cryptomonnaies. La même possibilité d’évolution s’ouvre pour toutes les personnes curieuses d’intelligence artificielle. C’est la prochaine étape !”

En résumé

Déjà présente dans la finance, l’intelligence artificielle connaît un développement fulgurant et une démocratisation sans précédent. La culture de l’industrie s’en retrouve transformée : les produits et services financiers seront désormais accessibles directement et hautement personnalisables. Un immense champ de développement de produits ainsi que de communication et de marketing s’ouvre dans la décennie à venir.

De nouveaux métiers émergeront : les traducteurs de technologies et les experts en algorithmes seront particulièrement recherchés. Mais tous les domaines seront transformés. Pouvoir collaborer avec une IA au quotidien, apprendre continuellement deviendra essentiel. Et comme dans toute transformation profonde, les soft skills s’avèreront importantes pour pouvoir vivre au mieux ce changement.

Intervenants dans l’article

Jan De Schepper

LinkedIn

Responsable des ventes et du marketing chez Swissquote

Stéphane Gard

LinkedIn

Administrateur indépendant et consultant en fusions et acquisitions

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