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Un marché du travail en pleine recomposition et structurellement sous tension impose à chaque entreprise de réfléchir à ses collaborateurs-clés. Comment les recruter et surtout les conserver ? La rémunération est certes importante, mais elle est loin d’être le seul facteur. La culture d’entreprise tout comme le développement des compétences sont des pistes plus porteuses.
Toute entreprise compte son lot de talents, y compris la vôtre ! Ces personnes représentent 2 à 5% des effectifs de toute organisation. Aujourd’hui, quasiment aucun secteur d’activité n’échappe à la guerre des talents en Suisse. Ce contexte est favorisé par de solides tendances de fond. A savoir l’évolution rapide des compétences dans certains domaines, les changements de métier et de carrière ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La digitalisation rend aussi certaines compétences émergentes particulièrement précieuses, et donc hors de prix pour certaines entreprises.
Mais attention : la compétence à elle seule définit rarement le talent. La définition du talent diffère dans chaque entreprise. Elle dépend du secteur d’activité, de l’entreprise, ses valeurs, sa culture, sa politique. Une entreprise de télécom marquée par l’innovation digitale et la rapidité n’a pas les mêmes profils d’excellence qu’une manufacture artisanale de luxe, caractérisée par la minutie, la rareté et l’exclusivité. « Dans chaque entreprise, la définition du talent implique un pourcentage très différent de compétences relationnelles et techniques », souligne Marc Hubacher, responsable des ressources humaines pour le Centre Patronal. «A cela il faut aussi ajouter l’envie de la personne, son potentiel, sa capacité à développer ses compétences… ». Mais une dimension demeure constante : le talent comprend toujours « des compétences rares et des performances au-dessus de la moyenne, ainsi qu’un leadership clairement marqué », pointe Sophie Jouvenaux, cheffe du domaine management RH auprès de la Ville de Lausanne.
Identifier les talents
Comment identifier ces profils hors normes ? Deux méthodes existent. D’abord lors d’un recrutement. Nombreuses sont les entreprises « qui investissent énormément à ce moment-là », remarque Sophie Jouvenaux. Beaucoup d’énergie est en effet dépensée pour repérer, tester, valider et convaincre une personne brillante à rejoindre l’entreprise. « Mais une fois qu’elle est dans l’organisation, l’investissement se tarit fréquemment », constate l’experte. Dans ce cas, le risque de départ rapide de l’oiseau rare est évident. Ce qui peut sonner comme un échec, au vu des moyens investis.
Autre manière d’identifier des salariés hors-norme, l’évaluation interne. Toute une série d’outils et d’exercices existent : nine-grid box, exercices collaboratif, developement centers, etc… Ce travail est de préférence à réaliser avec les ressources humaines voire des consultants spécialisés, et non par le seul manager d’équipe. « Ce dernier peut avoir un avis biaisé sur un collaborateur qu’il fréquente au quotidien. Sans compter le fait qu’il n’a souvent aucun intérêt à voir partir un profil qui enrichit son équipe», glisse Sophie Jouvenaux. L’intérêt de cette démarche interne est de pouvoir objectiver des compétences et verbaliser la définition de talent. Autant d’éléments précieux pour communiquer autour de ce concept.
Communiquer autour de la notion de talent
Faut-il ou non dire à la personne identifiée comme talent que l’entreprise la considère comme telle ? Certaines entreprises choisissent de ne pas mentionner ouvertement le concept auprès des premiers intéressés. Ce qui n’empêche pas d’investir « en accompagnant de manière très étroite le collaborateur dans le développement de ses activités et ses compétences », observe Florent Muheim, formateur dans le brevet fédéral spécialiste en RH chez Romandie Formation. D’autres partagent de manière transparente les critères et moyens d’évaluation. Dans tous les cas, « si on utilise le mot talent dans l’organisation, il faut avoir les moyens de mettre en oeuvre une politique en la matière : un processus d’identification objectif, des critères de sélection, et une manière de suivre ces personnes… Sinon, le risque de jalousies, d’inéquités ou d’effet diva existe », prévient Sophie Jouvenaux.
Pour prévenir les jalousies, miser sur une politique des ressources humaines équitable et qualitative pour toute la population au sein de l’entreprise la plus transparente possible, conseille Florent Muheim. « Il faut une sorte de « socle de base » dans l’environnement et les conditions de travail qui concerne tout le monde : politique de rémunération attractive, bureaux et espaces de travail adéquats, conditions et outils de travail performants. In fine, la possibilité de pouvoir développer ses connaissances via la formation continue et accroître ses compétences à travers les tâches, projets et responsabilités menées en entreprise. C’est sur ces éléments qu’on peut développer des moyens supplémentaires pour permettre aux talents de mener à bien leurs missions ou de se développer. »
Qu’est-ce que l’effet diva ?
Certains talents, à force d’être survalorisés au sein de l’entreprise, se sentent en position de force et peuvent développer des comportements nuisibles à la bonne coopération au sein de l’organisation : attribution personnelle des succès, exigences hors normes, … Cet effet « diva » s’il n’est pas pris en considération et managé peut créer des tensions importantes avec les autres membres de l’équipe.
Retenir les talents
Une entreprise qui souhaite conserver ses talents dispose de trois grands leviers :
1-Former et développer
Le but est de donner « des perspectives d’évolutions et de développement des compétences », explique Florent Muheim. Cela peut passer par des formations plus ou moins conséquentes : renforcement ponctuel de compétences ou MBA dans une grande école. Ou confier des projets toujours plus conséquents à gérer à la personne concernée, lui donner des responsabilités plus vastes, dans son propre poste ou son service. Une démarche toujours à mener avec un effort sur l’environnement de travail en lui-même. « Il faut créer un espace où être créatif, pouvoir développer ses compétences d’entrepreneurship et d’imagination », assure Florent Muheim, sans quoi les efforts investis pour catalyser le potentiel du talent ne pourront pas se concrétiser. Attention, développer ne signifie pas automatiquement que l’entreprise peut entrer en matière immédiatement ni de manière absolument planifiable et structurée, notamment pour les PME. « Il faut partager avec le talent une philosophie basée sur la confiance. Oui, l’entreprise croit en elle et souhaite développer son potentiel. Mais parfois, ces étapes de développement ne seront pas toutes très nettes. Au rythme des crises et des changements actuels, promettre un plan de carrière stable et définitif sur les cinq ans à venir est devenu impensable. L’emploi et l’entreprise changent très vite. Il s’agit plutôt de d’avancer sur quelques mois, avec des prises de responsabilités et des rendez-vous réguliers permettant d’exposer ces talents à d’autres services ou d’autres spécialistes », explique Marc Hubacher.
2-Miser sur le mentorat
Rencontrer des personnes inspirantes, voire de véritables mentors peut permettre aux talents de se sentir accompagné sur une série de plans : personnel, professionnel, relationnel. L’entreprise peut faciliter le contact avec une personne appropriée. « Le mentor peut être une personne hors de l’entreprise, une personne issue de la direction des ressources humaines, ou d’un autre secteur de l’organisation », précise Florent Muheim. Son rôle n’est pas « de développer des compétences en montrant comment faire mais plutôt transmettre sa large expérience, des conseils selon le contexte rencontré et un accompagnement personnalisé afin de ressortir les effets de levier à disposition du talent et les clés pour surmonter les défis auxquels il est confronté.. En conséquence, le mentor a une expérience spécifique exploitable pour la personne talentueuse, car il dispose d’un regard externe », explique Florent Muheim. Le mentorat apporte à la fois un regard expert sur une carrière professionnelle et ses choix stratégiques et un regard humain sur le développement du leadership. Ce travail peut aussi être mené comme mentionné hors de l’entreprise, avec des services spécialisés dans le domaine des ressources humaines.
3-Travailler l’évolution horizontale
Par le passé, ‘grader’ en entreprise signifiait grimper dans la hiérarchie. Aujourd’hui, « une évolution de carrière n’est pas forcément verticale. Il ne suffit pas d’être bon vendeur pour devenir chef de ventes. Au contraire : on va laisser le bon vendeur au contact des clients les plus importants, et placer la personne plus attirée par les fonctions stratégiques à la tête du secteur. Un certain nombre de talents ne sont d’ailleurs pas du tout attirés par des fonctions hiérarchiques, pour tout un tas de raisons », observe Marc Hubacher. Il est donc capital de faire prendre conscience aux talents qu’il existe des « opportunités horizontales », à savoir des possibilités d’élargir son travail et ses activités à d’autres domaines ou services de l’entreprise. Ces postes et responsabilités sont parfois des fonctions-clés, parce qu’elles font appel à des compétences transversales. L’intérêt ? Souvent, « la responsabilité n’y est pas couplée à la conduite de personnel, ni d’un budget ou d’un plan de communication », observe Marc Hubacher. L’expertise est découplée de la conduite des opérations, « ce qui permet de devenir spécialiste de son domaine, s’affirmer comme une référence, voire devenir ambassadeur de son sujet dans l’entreprise ou en-dehors », plaide Marc Hubacher.
Souligner la culture de l’entreprise
Pour éviter le départ d’un talent…il faut savoir ce qui l’a mené dans votre entreprise ! Pour Sophie Jouvenaux, il est fondamental de bien comprendre les attentes des profils les plus pointus d’une organisation. « Tôt ou tard, pour ces personnes le levier de la rémunération va trouver ses limites. Mais quelles sont ses valeurs, sa culture, en quoi se sent-il en adéquation avec l’entreprise ? »
La culture de votre entreprise est unique et aucune compensation monétaire ne pourra la remplacer : n’hésitez pas à la souligner et à la valoriser auprès d’un talent, qu’il s’agisse de le recruter ou de s’assurer de sa fidélité. « Toute entreprise a une culture, le tout est d’en prendre conscience, ce qui n’est pas toujours le cas. Qu’est-ce qui vous différencie favorablement des autres ? », pointe Florent Muheim. Tutoiement, journée sans cravate, sorties au vert, convictions affichées, diversité et inclusion des collaborateurs, flexibilité du temps de travail et possibilité de télétravailler… « Ces éléments culturels sont porteurs de valeurs. Or, nombreuses sont les nouvelles générations qui mettent l’accent sur ces aspects, qui sont directement en lien avec leur motivation » assure Florent Muheim.
Quand un talent veut s’en aller
Faut-il partir ou tenter de retenir à toute prix un talent qui s’en va ? Deux politiques s’affrontent. A première vue, si du temps et des moyens ont été investis pour former un talent, la tentation de le retenir est grande.
Mais le plus réaliste, constate Sophie Jouvenaux est d’accepter que « par définition, un talent ne va pas rester. Il reviendra peut-être plus tard ! Mais le retenir par la rémunération ne fonctionnera pas : s’il décide de partir, c’est que d’autres éléments ne lui conviennent plus. »
Les profils brillants « partent rarement pour une raison précise. Et pour les faire rester, il faut pouvoir agir sur une vaste série de secteurs : culture, formation, responsabilités, rémunération, sens… », énumère Marc Hubacher. Ce qui est redoutablement complexe. Enfin, quelquefois, et notamment dans l’informatique « c’est tout simplement un marché particulièrement tendu qui dicte le départ », explique Sophie Jouvenaux. Notez aussi que toute entreprise forme des personnes, mais bénéficie aussi des talents formés ailleurs. « Une activité à forte valeur ajoutée peut avoir un turn-over plus élevé que d’autres », observe encore Florent Muheim.
Lorsque l’adéquation entre ce que le talent souhaite et ce que l’entreprise peut lui offrir ne fonctionne plus, que l’entreprise constate qu’objectivement, face au marché concurrentiel, elle ne peut pas répondre aux attentes de ce profil de pointe, se séparer reste la plus sage des solutions.
Résumé
- La notion de talent varie selon la définition de chaque entreprise et chaque secteur d’activité
- Il s’agit en général de collaborateurs dotés de compétences rares ou capacités particulières, de performances au-dessus de la moyenne, et de solides capacités de leadership, voir même visionnaire
- Il est pertinent d’identifier les talents en entreprise à condition d’avoir une politique dédiée pour ces personnes
- Pour les recruter mais surtout les conserver, les pistes les plus pertinentes restent la formation, leur accompagnement et le développement de leurs compétences.
- La rémunération est un facteur mais ne doit pas être privilégiée. La culture d’entreprise est plus importante et comment elle se décline
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